Sénégal : "Il nous reste 10 ans pour éliminer le paludisme"
A l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le paludisme, AlloDocteurs.Africa a interrogé le Dr Doudou Sène, coordonnateur du Programme National de Lutte contre le Paludisme au Sénégal.
Si le monde entier est durement touché par le coronavirus, en Afrique, le paludisme continue de tuer. Transmis par des moustiques infectés du genre Anophèles, le paludisme - qu'on appelle aussi malaria - est responsable de plus de 400.000 décès par an, essentiellement sur notre continent.
Si le fléau commence à régresser à l’échelle continentale, nous sommes encore très loin d'une éradication de la maladie. Pour en savoir plus, à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre cette maladie infectieuse qui est prévue ce samedi 25 avril, AlloDocteurs.Africa a interrogé le Dr Doudou Sène, coordonnateur du Programme National de Lutte contre le Paludisme au Sénégal. Il est un des intervenants du séminaire de Santé en Entreprise (SEE) sur la malaria, dont nous sommes partenaires*.
AlloDocteurs.Africa : Où en est la lutte contre le paludisme au Sénégal ? Quel est votre bilan comparé à l'année dernière, ?
Doudou Sène : En 2019, les chiffres montrent que nous avons connu une baisse drastique du nombre de cas de palu sur l'ensemble du territoire national. On a eu 354.708 cas qui ont été notifiés, soit une incidence de 1,9 pour 1000 habitants. C'est beaucoup moins que 2018 où on avait enregistré plus de 530.000 cas. Pour les décès, nous avons déploré 260 décès dans tout le pays en 2019, contre 550 décès en 2018. C'est plus de deux fois moins : cela prouve que nous avons des avancées significatives dans la lutte contre la paludisme !
A.D.A : Comment expliquez-vous justement cette avancée et ces chiffres encourageants ?
D.S : Au Sénégal, nous avons quand même une grande expérience dans la lutte contre le paludisme, notamment via les collaborations que nous avons avec les Instituts de Recherche. Toutes les stratégies actuelles au pays sont basées sur des faits, notamment sur la recherche de ce qui peut provoquer une augmentation du nombre de cas. Nous avons également un bon maillage dans le système communautaire qui permet, via un dispositif, de détecter précocement les cas au niveau opérationnel.
A.D.A : Avec des actions de terrain?
D.S. : Oui, avec ce qu'on appelle la "PECADOM Plus", la prise en charge à domicile des cas de paludisme, nous avons des relais qui font chaque semaine le tour des villages de leur zone d'activité pour des visites à domicile. Tous les cas de fièvre sont détectés automatiquement à travers les tests de diagnostic rapide, ce qui nous a valu quand même des résultats très concluants.
A.D.A : Il y a aussi les campagnes de couverture universelle en moustiquaires...
D.S. : Oui, en 2019, nous avons organisé une grande campagne où nous avons distribué pratiquement 9 millions de moustiquaires à la population ! Enfin, il y a aussi les stratégies pour les zones où l'incidence du paludisme semble élevée, notamment dans la zone Sud qui regroupe les régions de Kédougou, Tambacounda et Kolda. Là aussi, nous avons des stratégies spécifiques, notamment la chimioprévention chez les enfants de moins de 5 ans ou de 3 ans à 10 ans, à qui on administre des médicaments à la veille de l'hivernage avec quatre passages. Ce permet de protéger nos enfants.
A.D.A : Et pour les femmes enceintes?
D.S. : Nous avons aussi une prise en charge avec des méthodes de prévention mais également la couverture systématique en moustiquaire imprégnée. Pour cela également, il faut se féliciter de l'accompagnement des partenaires parce que tout cela nécessite beaucoup de moyens. En plus de ceux déjà cités, la Banque Islamique du développement soutient ces actions notamment dans la zone nord où nous avons des perspectives d'élimination du paludisme. Aujourd'hui, dans cette zone, on a une incidence inférieure à 1 pour 1.000 habitants !
A.D.A : Des études remettent en question l'efficacité des moustiquaires imprégnées d'insecticides. Vous en pensez quoi ?
D.S : Ces études ont montré que beaucoup d'insecticides sont devenus presque caduques car la plupart des moustiques du genre Anophèles résistent à ces produits. Des alternatives sont en train d'être déployées, notamment les "PBO", des moustiquaires imprégnées doublement par des produits qui sont efficaces. Le Sénégal prévoit d'intensifier leur utilisation.. Il y a aussi d'autres pistes. L'ivermectine, un médicament, pourrait être une arme supplémentaire. On dispose d'études qui montrent que dans les populations qui prennent de l'ivermectine, les moustiques capturés sont stériles.
A.D.A : Vous avez évoqué des progrès chiffrés... que doit faire encore le Sénégal pour éliminer ce fléau ?
D.S : Il nous reste 10 ans par rapport à l'échéance qui a été fixée par le programme national et le ministère de la Santé. Nous avons en tête notre prochain plan stratégique qui est presque prêt : notre ambition est bien d'atteindre cette élimination du paludisme d'ici 2030.
A.D.A : Il faut pour cela bien connaître la répartition des cas à travers le pays?
D.S : Oui, nous avons au Sénégal à peu près trois zones qui se distinguent nettement. Une zone "verte" où l'incidence est inférieure à 5 pour 1.000 habitants et trois zones considérées comme "rouges" car leur incidence dépasse les 10 ou les 20 pour 1.000 habitants. Dans ces zones rouges, nous avons des stratégies spécifiques avec des interventions comme la couverture universelle en moustiquaires imprégnées et une bonne extension de la prise en charge à domicile des cas en faisant en sorte qu'il y ait un relais dans tous les villages pour détecter rapidement les cas de paludisme et les traiter. On a aussi expérimenté dans ces zones rouges d'administrer de médicaments en masse afin de libérer les porteurs du parasite avant la période de forte transmission. Toutes ces stratégies pour être rendez-vous en 2030 !
A.D.A : Les moustiques sont-il "dangereux" actuellement?
D.S : Non , nous ne sommes pas en période de transmission. Au Sénégal, la transmission du paludisme est fortement liée à la pluviométrie. Nous sommes actuellement dans une période de basse transmission. D'ailleurs, on ne pourra peut-être juger de l'impact réel du Covid-19 que lorsqu'on sera dans une période de haute transmission du paludisme.
* Programmes de lutte contre le paludisme : quelle continuité en contexte de pandémie de COVID-19
Jeudi 30 avril 2020
Heure : 11h00 (Heure UTC+2)
- Dr Rosamund LEWIS et Dr Stefen HOYER, Experts COVID-19 et Paludisme, OMS
- Dr Doudou SENE, Directeur du Programme National de Lutte contre le Paludisme, Ministère de la santé du Sénégal
- M. Ralph ANKRI, Senior Manager, Business Development, Orange Middle-East & Africa
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