Pr Joseph Penda Melone : "En Afrique, on n’a pas toujours le courage de demander l’aide d'un psychologue"
La santé mentale des Camerounais est mise à rude épreuve. Face à une prise en charge inexistante, des particuliers et institutions tentent d’aider les âmes en détresse. Le psychothérapeute, psychanalyste et anthropologue médical camerounais Joseph Penda Melone en fait partie. Pour lui, il faut oser demander de l'aide.
Crises économique, politique, sécuritaire, pandémie, désordres sociaux... autant de choses qui rejaillissent sur la santé mentale des Camerounais. Et dans cet environnement difficile pour les nerfs, obtenir un suivi médical, surtout pour les questions de santé mentale, n’est pas une chose facile.
Consulter un psychologue ou un psychiatre n’est pas une habitude sur le continent africain, et le manque de structures de prise en charge n’est pas pour arranger les choses. Mais pour dépasser ces problèmes de santé mentale, il est crucial de demander de l'aide et de ne pas se cacher. Interview avec Joseph Penda Melone, psychothérapeute, psychanalyste et anthropologue médical camerounais, pour qui il faut faire évoluer les mentalités africaines sur la santé mentale.
A.D.A. : Les souffrances mentales sont-elles un problème sérieux au Cameroun ?
Pr J.P.M. : Le problème est très sérieux, même s' il n’est pas pris en charge comme cela se devrait. Beaucoup de personnes ont une santé mentale précaire. Beaucoup de personnes souffrent réellement de pathologie mentale et ce n’est pas seulement au Cameroun ou en Afrique qu’il y a problème. Mais c’est vrai qu’en Afrique, la considération pour les maladies mentales et la santé mentale est minime, les gens ne connaissent pas ces choses-là. Dans certaines sociétés, les gens savent que lorsque je rencontre beaucoup de contrariétés dans mon système personnel, ma vie, mes relations, il peut être nécessaire que je voie mon médecin parce qu’il peut me donner un petit médicament qui me calme un peu. Ou bien il faut que je voie mon psychologue, qui peut essayer de m’accompagner, de me permettre de parler, de me décharger d’un lourd fardeau, parce que je peux dire au psychologue des choses que je ne veux dire à personne. Mais chez nous, en Afrique, la santé mentale n’est pas reconnue et elle est confondue avec des troubles mentaux graves, que soigne la psychiatrie. Mais ce sont deux choses différentes. La santé mentale se préoccupe du mal-être, du stress, mais il ne faut pas la confondre avec une maladie. Mais il faut reconnaître l’existence de ces problèmes et oser en parler !
A.D.A : Vous avez déclaré que les souffrances mentales peuvent causer des pathologies comme l’ulcère d’estomac. Comment cela se fait-il ?
Pr J.P.M. : Nous pensons que les contrariétés, les conflits, la tension dans laquelle l’individu peut vivre, le stress peuvent amener l’individu à une situation psychosomatique. Ce qui signifie qu’il peut réveiller les maladies organiques qui sommeillaient déjà, déclencher le processus et même l’amplifier. Certaines maladies s’aggravent lorsque, sur le plan émotionnel et mental, nous sommes bousculés, en difficulté. Notre situation émotionnelle développe chez nous des répercussions organiques, qui vont aller jusqu’à toucher là où la petite chose était en veilleuse et en l’amplifiant, elle nous met dans une situation très inconfortable. La pathologie mentale a ses complexités. Lorsque quelque chose ne va pas au niveau mental, l’individu se retrouve dans une perturbation générale.
A.D.A. : Quelle attitude doit-on adopter lorsque l’on souffre ?
Pr J.P.M. : Beaucoup de gens ont pensé que nous, les Africains étions très expressifs. Ce n’est pas vrai. Cela a été peut-être vrai dans l’Histoire, quand on allait voir un oncle, un frère, une tante, votre père ou votre mère afin qu’ils vous écoutent. Mais aujourd’hui, tout cela n’est plus possible. Les êtres humains sont aujourd’hui très seuls. Ils sont si seuls que personne n’a plus où s’exprimer ou comme je dis se décharger un peu du fardeau qu’il transporte. À ce titre-là, il peut donc être nécessaire de consulter un psychologue, à titre préventif, lorsqu’on commence à sentir que quelque chose ne va pas, au lieu de continuer son existence comme si de rien n’était. Mais en Afrique, on n’a pas toujours le courage de demander de l’aide, ou bien il n’y a pas les moyens de gérer ces cas de santé mentale précaire. Cela commence à être là, il y a des structures d’aide qui apparaissent. Nous envisageons d’organiser ici à l’AIE des groupes de parole où les gens pourront s’exprimer, qu’ils aient raison ou tort. Contrairement à ce que l’on croit, dans les groupes de parole, chacun a son opinion, mais c’est simplement que ce que chacun exprime le concerne, on prend ainsi connaissance des difficultés des autres. Un participant peut enregistrer ce que vous avez fait et reproduire vos efforts dans l’optique de résoudre son problème. Il n’y a pas de donneurs de leçons, mais de l’expression et l’écoute.
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