Pr Aimé Bonny : "Aucun élément scientifique" ne justifie l'autorisation des traitements traditionnels du Covid
Le Pr Aimé Bonny conteste le processus ayant abouti à l'autorisation de 5 traitements traditionnels locaux. Pour lui, si la médecine traditionnelle africaine veut être prise au sérieux, elle doit respecter les exigences scientifiques de la médecine moderne.
Le ministre de la Santé publique du Cameroun, conforté par l’avis favorable de la Commission Nationale du Médicament, a octroyé des autorisations de mise sur le marché à des fabricants de 5 produits locaux anti-Covid-19. Le Corocur, le Palubek’s, le Covid, l'Elixir Covid, et le Soudicov Plus ont ainsi obtenu le droit d’être commercialisés sur une période de 3 ans. Si ces décisions ont été applaudies par une partie de l’opinion dans le pays, ce n’est pas le cas du cardiologue Aimé Bonny.
Le cardiologue et universitaire camerounais s’était déjà opposé à l’usage de la chloroquine dans le traitement de la maladie à coronavirus. Il avait critiqué la stratégie de lutte contre le Covid-19 dans son pays. AlloDocteurs Africa l'a interviewé pour mieux comprendre son opposition à l'usage de ces traitements issus de la pharmacopée traditionnelle.
AlloDocteurs Africa : Comment accueillez-vous l'autorisation de traitements issus de la pharmacopée traditionnelle dans la lutte contre le Covid-19 ?
Pr Aimé Bonny : En tant que professionnel de santé, chercheur et activiste pour la reconquête mondiale de la science africaine, j'ai réservé un accueil défavorable à cette décision. Cette autorisation de mise sur le marché (AMM) ne s'est appuyée sur aucun élément scientifiquement recevable. Aucun de ces 5 produits de la pharmacopée traditionnelle camerounaise n'a fait l'objet d'un essai clinique respectant les canons de la médecine moderne, ce qu'on appelle "l'evidence-based medicine", c'est-à-dire la médecine fondée sur des preuves. Par conséquent, aucune publication dans une quelconque revue scientifique ne vient attester de l'efficacité auto-proclamée de ces médicaments traditionnels améliorés (MTA).
La commission nationale du médicament au Cameroun, qui a délivré ses AMM, est une instance consultative qui ne jouit pas des moyens suffisants pour jouer véritablement son rôle, à l'image de celle du Nigeria (NAFDAQ) par exemple. Je ne parle même pas des agences nationales européennes, comme l'Agence Européenne du Médicament (AEM) ou la FDA américaine. Je rappelle que l'Agence Africaine du Médicament est un projet qui tarde à voir le jour. Il n'y a qu'en Afrique que l'autorité de tutelle homologue un produit destiné à la santé humaine sans preuve réelle de son intérêt, sans se baser sur aucun essai clinique.
A.D.A. : Le fait que ces traitements soient considérés comme "adjuvants" au traitement anti-Covid-19 est-il une précaution suffisante ?
Pr. A.B. : Un adjuvant est un produit supposé "potentialiser" l'action du produit principal, c'est-à-dire en améliorer l'efficacité. Or, le ministre lui-même a précisé que les recherches n'ont été assez poussées pour prendre le risque de prescrire ces traitements seuls. Et puis, personne ne sait dans quel protocole de soins les inscrire ?. Sont-ils efficaces seuls ? En combinaison avec d'autres traitements du protocole national ? Seules des études "randomisées", où on tire au sort pour attribuer un groupe de traitement à chaque patient, et on compare le groupe de malades prenant le médicament au groupe qui ne prend que le placebo, auraient permis de juger de leur efficacité dans le traitement du Covid-19.
La Commission nationale du médicament aurait du s'appuyer sur des publications de revues scientifiques sérieuses pour prendre sa décision, mais aucune publication n'est connue sur ce sujet précis.
A.D.A.: Croyez-vous personnellement en la médecine ou la pharmacopée traditionnelle?
Pr. A.B. : Je crois en la médecine traditionnelle. Je suis convaincu des vertus de la pharmacopée traditionnelle africaine. Le problème des tradipraticiens africains est qu'ils doivent s'adapter à l'époque dans laquelle nous vivons. La rationalisation des connaissances, l'utilisation de méthodes codifiées de démonstration des effets bénéfiques de ces produits n'est pas inaccessible aux Africains. Le respect de ce protocole d'essai clinique permettrait de rendre lisibles nos prouesses, et d'exporter cette richesse qui puise sa source dans la sagesse de nos ancêtres. Au lieu de démontrer rationnellement ce que valent nos médicaments traditionnels améliorés, beaucoup de ces tradipraticiens crient à la conspiration chaque fois qu'on émet des réserves constructives. L’Afrique n'en sort pas grandie.
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