Au Mali, "le cancer du sein est encore perçu comme une fatalité"

Alors que la lutte contre le cancer du sein est un enjeu grandissant au Mali, l'ONG Médecins sans frontières (MSF) s'est associée à une campagne d’information et de dépistage dans le cadre d’Octobre Rose.

Badr Kidiss
Badr Kidiss
Rédigé le , mis à jour le
Le cancer du sein est une urgence au Mali
Le cancer du sein est une urgence au Mali  —  MSF/Mohamed Dayfour

Il gagne du terrain. En 2020, 2.450 nouveaux cas de cancer du sein ont été identifiés au Mali. Face à cette situation, les autorités multiplient leurs efforts pour mieux lutter contre le premier cancer chez les femmes maliennes. Une large campagne d'information et de dépistage a été lancée à l'occasion d'Octobre Rose, en partenariat avec l'ONG Médecins sans frontières (MSF). Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Marc Ounténi Couldiaty, coordinateur médical de MSF au Mali. Entretien.


AlloDocteurs.Africa :  En 2020, près de 86.000 femmes sur le continent sont mortes d’un cancer du sein, dont la majorité en Afrique de l'Ouest et en Afrique de l'Est. Qu’est-ce qui explique ce chiffre glaçant ? 

Dr Marc Ounténi Couldiaty : A mon avis, les facteurs sont multiples. La prise en charge du cancer du sein dépend du dépistage. Si le cancer est détecté suffisamment tôt, les chances de guérison sont élevées. En ce qui concerne ces chiffres de mortalité en Afrique de l'Ouest, je pense que plusieurs facteurs expliquent cette situation. Au Mali par exemple, le manque d'informations et l'absence de dépistage systématique compliquent la vie des malades. On peut faire le même constat dans toute la sous-région, sans oublier que le parcours thérapeutique est souvent hors de portée financièrement pour beaucoup de familles. Car dans la plupart des cas, les examens sont payants, ce qui constitue une barrière à l'accès au diagnostic. 

A.D.A : Aujourd’hui, est-ce que les examens et traitements anticancéreux sont accessibles pour toutes les Maliennes ? 

DR M.O.C : Non malheureusement, mais il y a une amélioration qui peut être faite, notamment à Bamako et particulièrement à l'intérieur du pays. En ce qui concerne Bamako, il y a déjà des centres de dépistage et du personnel formé. Mais pour obtenir un diagnostic, il faut notamment réaliser une mammographie. Pour cela, il faut disposer d’un appareil spécial et d’un radiologue capable de lire les clichés. A Bamako, cette mammographie n'est pas évidente. Elle est payante, et on a seulement 3 mammographes qui sont fonctionnels pour 2 millions d'habitants. Ce qui ne favorise pas l'accès au diagnostic. 

L'offre des soins est à améliorer, et c'est l'objectif de Médecins Sans Frontières (MSF) et ses différents partenaires locaux. On veut améliorer l'accès aux soins, en facilitant le parcours thérapeutique des personnes atteintes par le cancer du sein. On veut rendre gratuite la mammographie pour améliorer la détection précoce. 

A.D.A : Mais entre les examens et le suivi médical, qu’est ce qui revient à la charge des patientes ? 

DR M.O.C  : La politique du ministère de la Santé repose sur une gratuité de la prise en charge, mais cela n'est pas constaté. En partenariat avec le ministère, MSF rend gratuit tout le parcours thérapeutique de la malade, à partir de son dépistage dans l'un des centres à Bamako jusqu'aux traitements en passant par les différents examens nécessaires. 

A.D.A : Cette gratuité de la prise en charge est-elle liée à l'opération Octobre rose de MSF durant ce mois d'octobre ?

DR M.O.C : Non, c'est une gratuité tout au long de l'année. "Octobre rose" a été pour nous l'occasion de mettre ça en place, en accord avec nos différents partenaires, pour diffuser l'information à très grande échelle dans le but de toucher les personnes les plus éloignées. Après cette campagne d'Octobre rose, le dispositif de gratuité - qui était déjà existant - restera en place jusqu'en 2022. 

A.D.A : Aujourd'hui, comment est perçu le cancer du sein par la société malienne ?

DR M.O.C : Le cancer du sein est encore perçu comme une fatalité, ce qui ne devrait pas être le cas. C'est une idée ancrée au Mali, et on oublie qu'on peut éviter la maladie. En plus, le cancer du sein est l'un des cancers qui peut être guéri, s'il est dépisté tôt. A l'heure actuelle, on a beaucoup de thérapies innovantes. C'est surtout cette fatalité qu'on doit combattre, en informant. D'où l'intérêt de la campagne d'Octobre Rose. Mais c'est sûr que la perception du cancer peut changer. Il faut que ce soit une affaire de tout le monde. Il faut donc sensibiliser et insister sur le dépistage. Je pense qu'on est sur le bon chemin. 

A.D.A :  Les spécialistes observent ces dernières années en Afrique un rajeunissement de l'âge des femmes lors de la survenue d'un cancer du sein par rapport à d'autres continents. Quelles sont les explications scientifiques de ce phénomène ? 

DR M.O.C : Vous avez parfaitement raison. La survenue des cancers peut s'appuyer sur des facteurs de risque qui seraient observés aujourd'hui dans notre communauté, contrairement aux années précédentes. Il y a par exemple de plus en plus d'Africaines qui prennent des pilules contraceptives, et il a été prouvé scientifiquement que ces dernières étaient un facteur de risque pour le cancer du sein. Il y a aussi l'inactivité physique, ainsi que la consommation du tabac et de l'alcool qui gagnent du terrain sur le continent, et qui sont aussi deux facteurs de risque.

Et si ces facteurs sont associés à certaines prédispositions génétiques, le cancer du sein peut survenir à un âge plus jeune.

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