Albinisme : "C’est essentiel de voir des albinos à des postes clés"
Les massacres et meurtres rituels des albinos existent toujours dans les quatre coins de l'Afrique. Pour en savoir plus, on a échangé avec le Professeur Ousmane Faye, vice-doyen de la faculté de médecine de Bamako et directeur de l'hôpital de dermatologie (ex CNAM), à l'occasion de la Journée internationale de sensibilisation à l'albinisme, ce 13 juin.
En Afrique, les albinos ont la vie dure. Entre les difficultés de prise en charge, les crèmes solaires trop chères et les persécutions, l'albinisme est un défi quotidien. Maladie génétique héréditaire, l'albinisme est fréquent sur le continent. Pour aller plus loin dans la réalité des personnes qui souffrent de ce mal, on a échangé avec le Pr Ousmane Faye, directeur de l'hôpital de dermatologie de Bamako, le seul centre en Afrique de l'Ouest à offrir des consultations et des soins gratuits aux albinos. Entretien.
A.D.A : Quel est le rôle de votre hôpital dans la prise en charge des personnes souffrant d'albinisme ?
Pr Faye : Nous leur offrons des soins essentiels. À l’heure actuelle, c’est le seul hôpital en Afrique de l’Ouest qui soit dédié aux maladies de la peau et travaille volontairement à la prise en charge des albinos. On leur fait des consultations gratuites. Avant tout, il faut que la personne soit consciente des risques : c’est à dire la survenue des cancers cutanés. Du fait des discriminations, les albinos ne sont pas lettrés et ne connaissent pas forcément les risques qu’ils encourent et la nécessité de protéger leur peau.
On les conseille donc sur la maladie et les risques liés au soleil, on les examine, on dépiste les lésions précancéreuses, on traite les cancers qui sont parfois déjà présents. Et on leur donne des protections, des vêtements, des crèmes solaires, tout en leur disant comment se protéger... Et on les sensibilise à un suivi médical régulier, car le challenge c’est de les fidéliser ! Avec un suivi régulier, on a plus de chance de dépister les cancers tôt. En dehors de l'hôpital, on collabore avec des cliniques itinérantes dans tout le Mali pour faire des sorties au moins une fois par an et faire des dépistages, donner des infos et traiter les malades et distribuer des protections dans les zones reculées.
A.D.A : Vous parliez des discriminations subies par les albinos. Même en 2021 cela reste un problème au Mali ?
Pr Faye : La stigmatisation, l’attribution de pouvoirs magiques aux albinos est omniprésente dans toute l'Afrique. C’est quasi constant dans les esprits. Dans certaines ethnies, il est interdit de se marier avec un albinos. Parfois, les mères sont répudiées si elles mettent au monde un enfant albinos. On croit encore que chaque partie du corps d’une personne atteinte d'albinisme est bonne à quelque chose. C’est très profond dans nos cultures.
On connait bien ici l'histoire d'un des rois du Royaume bambara de Ségou, qui fondait son pouvoir sur ces malades : il avait caché des albinos dans une cave sous ses pieds dans la salle du trône. Quand il frappait le sol de son bâton, les albinos piégés hurlaient, et les membres de la cour pensaient que le roi pouvait faire hurler la terre d’un simple coup de bâton. Ces préjugés sont ancrés dans notre culture, et c’est tout le challenge auquel nous faisons face jusqu’à présent.
Nous assistons encore régulièrement à des disparitions, des mutilations, des assassinats... Pourtant, l'albinisme n’est pas une malédiction, ce n’est pas une punition divine ou la conséquence d’un péché commis par un ancêtre et certainement pas un pouvoir magique ! C’est un trait génétique, au même titre que la forme du nez ou la taille ! Il faut dépasser tous les préjugés sur la maladie et pour cela, les leaders de communautés ont un rôle important à jouer. Ce sont eux qui peuvent faire bouger les choses.
A.D.A : Comment changer les choses justement ?
Pr Faye : Si on veut gagner la bataille, il faut arriver à éduquer un maximum de personnes malades, pour qu’ils puissent faire eux-même leur éducation par les pairs. C’est essentiel de voir des albinos à des postes clés, dans des rôles de leaders. Les albinos doivent se mobiliser et ne plus se cacher ! C'est comme ça qu'on éveillera les consciences et qu'on pourra sortir cette population de la précarité dans laquelle elle est aujourd'hui.
Et pour la prise en charge médicale, le plus important c'est d'encourager les albinos à revenir consulter ! Nous avons déjà réussi à fidéliser plus de 1.000 malades. Il faut reproduire le modèle de notre hôpital, l'engagement des dermatologues est essentiel. En tant que médecin, quand on voit arriver quelqu'un avec une énorme tumeur, c'est terrible parce qu'on ne peut plus faire grand chose pour les aider. Il faut les prendre en charge plus tôt, partout en Afrique. En faisant venir les malades régulièrement, on peut les sauver.
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