Serge Armel Njidjou, l'inventeur du portique désinfectant, nous dit tout
Alors que la pandémie du Covid-19 sévit dans son pays, un ingénieur camerounais contribue à la lutte contre le fléau à sa manière. Serge Armel Ndjidjou, déjà concepteur d’une couveuse futuriste, a mis sur pied un portique désinfectant.
Déjà plus de 10.000 cas ! Le chiffres des contaminations au Covid-19 n’arrêtent pas de grimper au Cameroun. Le non-respect des mesures barrières est sans doute la principale cause de ce "boom". Une invention pourrait contribuer à contenir le fléau. Il s’agit du portique désinfectant, créé par l’Agence Universitaire pour l’Innovation (AUI) que dirige l’ingénieur camerounais Serge Armel Njidjou. Construit en aluminium, il diffuse à l’entrée un produit désinfectant. Au moment de ressortir, l’usager peut se laver les mains au savon.
AlloDocteurs Africa est allé à la rencontre de son inventeur qui nous révèle ses secrets. Celui qui est aussi le père de la couveuse connectée nous annonce, ravi, qu’il a reçu la bénédiction des autorités camerounaises. Cet ingénieur qui détient déjà trois brevets d'invention nous présente son dernier bébé, qui, à l'en croire, est déjà très demandé à travers le territoire national et même au-delà des frontières camerounaises. Il nous parle aussi de son projet de respirateur.
AlloDocteurs.Africa : Comment votre invention a-t-elle été accueillie au ministère de la santé publique ?
Serge Armel Njidjou, ingénieur, inventeur du portique désinfectant : Très bien ! En avril dernier, j’ai été invité à y apporter un prototype. Le ministre l’a regardé, son équipe aussi. Ils m’ont demandé quelques éléments techniques sur le produit vaporisé. Ils ont décidé d'acheter ce prototype et l’ont immédiatement installé à l’entrée du ministère.
ADA : Etes-vous soutenu financièrement dans vos recherches?
S.A.N. : On me le demande mais, depuis que je travaille, je n’ai jamais reçu un appui direct de l’Etat ! Peut-être que si je le demande, je l’aurai, mais je n’ai jamais travaillé dans ce but. Je suis un homme d’atelier. Je n’ai pas de temps matériel à investir dans les administrations, les dossiers... Tout ce qui m’intéresse c’est que l’Etat soit au courant de ce que je fais et donne sa bénédiction. Cela veut dire que je peux travailler normalement avec des clients et c’est ma perspective.
ADA : Combien de temps prend la fabrication d’un portique ?
S. A. N. : On ne peut pas exploiter le portique en imaginant une fabrication individuelle. Si vous le voulez, vous pourrez faire un prototype, même en une journée ! Mais ce ne serait pas intéressant. J’ai des commandes qui arrivent mais, pour les satisfaire, l’idée est de mettre en place une chaîne, de type semi-industrielle, de manière à pouvoir sortir une cadence d’au moins 50 ou 200 portiques par semaine. C’est à cette échelle que cela devient intéressant. Peut-être que ça va s’intensifier. Je vais m’ajuster en fonction de la tendance qui peut aller à la hausse ou à la baisse. Il y a beaucoup de demandes qui viennent de l’étranger mais je ne peux pas m’y intéresser parce que les frontières sont fermées !
ADA : Quels types de portiques fabriquez-vous ? Quels sont leurs coûts respectifs ?
S. A. N. : Nous avons d'abord des portiques que nous appelons "standard". Il demandent à l’usager de s’arrêter 6 secondes pour se soumettre à la désinfection. Sans beaucoup d’électronique, cette version simple peut fonctionner à l’énergie solaire ou être branché au courant. On le place n’importe où facilement : dans la rue et même dans un marché.
Il y a ensuite le modèle "confort", avec un peu plus d’électronique. Avec cela, vous avez des renseignements comme le nombre de personnes qui sont passées et des alertes lorsque la quantité de désinfectant est épuisée. C’est une version évolutive. Ce qui nous empêche d’y ajouter des fonctions, c’est la fermeture des frontières. Nous n’arrivons pas à faire venir le matériel. Nous aurions pu mettre un capteur pour avoir la température, un autre pour détecter les métaux, un pour le poids de celui qui passe sous le portique....
On a enfin la version "tunnel". L’idée est que l’usager ne s’arrête pas : le portique est suffisamment long pour qu’en traversant simplement, on soit désinfecté ! C’est ce type de portique qui est recommandé dans les milieux de grand trafic comme les agences de voyages, les entreprises, là où l’on retrouve de nombreux ouvriers, employés, clients... Les usagers passent normalement en mettant quand même leurs mains en évidence. Les coûts diffèrent selon les modèles. Le "standard" coûte 650 000 Francs CFA, le "confort" 1 million de Francs CFA, le "tunnel" dans ses deux versions coûte 1,5 et 2 millions de Francs CFA. Nous sommes aussi capables de faire du sur-mesure, des gens nous appellent parce qu’ils veulent qu’on vienne s'adapter à un environnement donné.
ADA : Et si la pandémie du Covid-19 s’estompe ?
S. A. N. : C’est un outil de désinfection qui peut évoluer. Je ne pense pas que, du jour au lendemain, on va estimer de manière radicale qu’il n’y a plus de problème ! Il y a une période pendant laquelle on sera dans une sorte de méfiance qui fera qu’on aura toujours besoin, pour se rassurer les uns les autres, d’avoir recours à ce genre d’outil. Quand on a affaire à un tel virus, je pense qu’on est parti pour un long moment de vigilance. Peut-être qu’à un certain moment on va décider de reprendre nos activités à peu près normales, mais on n’est pas à l’abri d’un rebond, d’une variante du même virus...
ADA : Vous présentez ce portique comme un appareil "intelligent"…
S. A. N. : Parce qu’il est 100% sans contact. Tout au long de son utilisation, on ne touche à rien ! Il détecte que vous êtes là, donne le signal, vous envoie les produits. Il estime que c’est bon et que vous pouvez descendre en vous faisant une alerte sonore.
ADA: Vous êtes aussi engagé dans la fabrication de respirateurs. Où en êtes-vous ?
S. A. N. : Nous avons commencé par la fonction mécanique du respirateur. Pour qu’on aille plus loin, il faudrait qu’un médecin-réanimateur travaille avec nous. Ce n’est pas notre priorité car on n’est pas très nombreux et on ne veut pas se disperser. On va certainement le relancer quand on aura stabilisé la production des portiques. Il nous reste un long chemin pour nous lancer : effectuer des essais cliniques et espérer un jour une homologation.
ADA : Vous n’êtes pas seul au Cameroun à vouloir fabriquer des respirateurs. Allez-vous collaborer avec les autres concepteurs ?
S. A. N. : Nous sommes ouverts. J’ai proposé que l’on se retrouve tous ensemble - par exemple à l'occasion d'un Hackathon -sur cette question. Il n’y a pas de problème à collaborer pour arriver au meilleur résultat. Cela ferait une belle synergie, tant qu’elle est possible...
ADA : On vous sent très prudent !
S. A. N. : J’en parle avec humilité aujourd’hui parce que j’ai une expérience dans le domaine médical. Je sais le temps que cela a mis pour amener, par exemple, les couveuses néonatales à un niveau où elles peuvent être utilisées à l’hôpital. Les jeunes qui pensent que "c’est pour demain" une fois qu’ils ont pris un fichier sur Internet et fait quelques simulations... vont réaliser que c’est plus compliqué que ça !
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