Michel Sidibé : "La santé n’est pas une dépense, c’est un investissement !"
L’envoyé spécial de l’Union africaine pour l’Agence africaine du médicament, Michel Sidibé, nous détaille les futurs défis de la santé publique en Afrique.
Alors qu’il tente de mettre en place la première Agence africaine du médicament, l’ex-ministre de la Santé et des Affaires sociales du Mali et ancien directeur général de l’Onusida, Michel Sidibé, nous en dit plus sur l’impact du Covid-19 sur les systèmes de santé du continent. A l’heure où les capacités hospitalières des 54 pays africains sont loin d’être homogènes, il nous propose aussi des solutions pour les renforcer. Voici la seconde partie de notre entretien.
AlloDocteurs.Africa : A cause de la pandémie, la fréquentation des hôpitaux chute dans la plupart des pays du continent...
Michel Sidibé : Oui, les mesures mises en place contre la Covid-19 ont impacté fortement les programmes sanitaires dédiés à d’autres maladies infectieuses, ainsi que les campagnes de vaccination. Le suivi et le dépistage de certains malades a aussi fortement diminué, depuis l’apparition du coronavirus en Afrique. Ces perturbations peuvent augmenter les décès dûs à de nombreuses maladies, comme le VIH, le paludisme ou encore la tuberculose. Aujourd’hui, tous les hôpitaux ont perdu leur capacité d’accueil parce que la Covid-19 prend tout l’espace !
A.D.A : Que faut-il faire pour ne pas ruiner les efforts de lutte contre les grandes maladies tueuses en Afrique ?
M.S : Il n’y a rien de plus urgent que la nécessité de maîtriser les deux crises que nous vivons : la crise sanitaire et la crise économique. Aujourd’hui, de nombreux pays africains ne peuvent pas s’engager efficacement dans leurs programmes de santé, de nombreuses institutions se fissurent…. Il est nécessaire de concevoir une nouvelle réponse à la crise sociale et monétaire qui permettrait aux gouvernements d’éviter les répercussions sur d’autres maladies qui concernent des millions de personnes non-contaminées par la Covid-19. Par exemple, la submersion des services du fait des besoins de la riposte à la pandémie pourrait entraîner des ruptures de stocks et une augmentation des coûts des antirétroviraux, et causer 500.000 décès supplémentaires liés au VIH/Sida, rien qu'en Afrique.
A.D.A : C’est donc un problème d’argent, de financement ?
M.S : Oui, car il ne faut pas oublier que la plupart des pays sont confrontés à une situation de surendettement qui limite actuellement leur réponse à cette crise sanitaire. Nous avons besoin d’un nouveau mécanisme continental du financement de la santé. Et la pandémie de Covid nous le montre bien, il nous faut plus considérer la santé comme une dépense, mais comme un investissement !
A.D.A : De nombreuses rumeurs entourent les vaccins anti-Covid en Afrique...
M.S : Oui, il ne s’agit plus d’une simple épidémie, mais d’une “info-démie” qui compromet l’adhésion des pauvres populations qui ne sont pas bien informées. Malheureusement, les rumeurs et les remises en cause de nombreuses informations officielles ne facilitent pas les choses. Le fait de se questionner sur cette crise, de porter un regard critique est, pour moi, révélateur d’une volonté de renforcer le sentiment de maîtrise en matière de santé. Toutefois, à mon avis, il faut être prudent, il faut transmettre des informations validées pour tirer le meilleur profit des outils disponibles (les mobiles, les réseaux sociaux…), tout comme il faut essayer de susciter l’engagement de la communauté en charge de la santé.
A.D.A : Est-ce que vous pensez que les nouveaux médias numériques et mobiles, comme AlloDocteurs Africa, peuvent aider les plus jeunes à ne pas tomber dans le piège des fake news ?
M.S : Oui, car il ne faut pas considérer les jeunes comme en attente “passive” de l’information, mais plutôt comme des acteurs de l’information. Ces éléments sont importants à mon avis pour lutter contre les fake news. La défiance au vaccin est largement due à la cacophonie scientifique et l’accès difficile aux informations sûres. C’est là que je pense que le rôle des médias mobiles est indispensable pour aider les populations démunies à avoir une information juste et vérifiée. J’ai été sur votre site AlloDocteurs.Africa, c’est maintenant un acteur majeur de la santé sur le web en Afrique et dans le monde francophone.
A.D.A : Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie se positionnent pour abriter le futur siège de l’Agence africaine du médicament. Qui va l’emporter ?
Michel Sidibé : Pour le savoir, je pense que la Commission de l’Union africaine en charge de l’Agence africaine du médicament va développer des critères pour les Etats souhaitant abriter ce futur siège. Il faudra sans doute procéder à une évaluation des offres pour que l’Assemblée générale de l’Union africaine prenne une décision.
A.D.A : Les pays maghrébins sont-ils les seuls à postuler ?
M.S : Il n’y a aucun pays qui a officiellement postulé ! On n’a pas invité les Etats à le faire mais certains d’entre eux ont exprimé des intérêts multiples. Il y a au moins une dizaine de pays au sud du Sahara qui auraient un intérêt à abriter le futur siège de l’Agence. Je pense notamment au Rwanda ou à l’Afrique du Sud, ou à d’autres pays qui ont peut-être les compétences nécessaires : la Côte d’Ivoire et le Sénégal en Afrique de l’Ouest... Et il n’est pas à exclure que d’autres pays manifestent leur intérêt !
A.D.A : Vous êtes un fin connaisseur du Mali et de la sous-région, quelles sont à vos yeux les priorités en matière de santé publique ?
M.S : Nous devons créer un système de santé de pointe et améliorer les soins de base. Aujourd’hui, la plupart des services sont concentrés sur la lutte contre la Covid-19, et la majorité de la population de la sous-région ne peut plus être soignée dans les hôpitaux vu qu’ils sont saturés... Il faut donc renforcer l’offre de santé et améliorer le système de prise en charge sociale. Aujourd'hui, les dépenses de santé sont très élevées pour le ménage africain moyen….
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