Excision : En Egypte, une seule clinique pour 28 millions de femmes mutilées

En Egypte, des campagnes appellent à ne plus exciser les petites filles. Mais si l'Etat veut protéger les générations futures, les 28 millions de femmes déjà mutilées, elles, n'ont qu'une seule clinique, privée, pour les aider.

Badr Kidiss avec AFP
Badr Kidiss avec AFP
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L'excision perdure en Egypte
L'excision perdure en Egypte  —  NCW Egypt / Hanzada Alsherif

Elle est interdite depuis 2008. Mais l'excision reste répandue en Egypte, où beaucoup estiment qu'elle préserve la chasteté des jeunes femmes. Et les chiffres sont vertigineux : 86% des Egyptiennes mariées de 15 à 49 ans étaient excisées en 2021, selon les autorités. L'Unicef estime à 200 millions le nombre de femmes excisées dans le monde. Plus d'une sur dix est Egyptienne. 

Aujourd'hui, les opérations de reconstruction se multiplient pour les Egyptiennes. Nourhane, la trentaine, a sauté le pas fin 2021. Cette habitante d'Alexandrie, dans le nord côtier, qui parle sous pseudonyme, a fait appel à la chirurgienne Reham Awwad pour "redevenir celle qui décide pour (son) corps". Huit mois après une opération, ses douleurs chroniques ont laissé place à "des sensations complètement nouvelles" et "une nette amélioration physique mais aussi psychologique".

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Des opérations récentes

C'est seulement depuis 2020 qu'il est possible de faire ce genre d'opérations en Egypte. En fondant Restore FGM, la docteure Awwad et son confrère Amr Seifeldin ont offert aux victimes un rare espace dans le pays où révéler son excision reste un tabou. Entourés de psychologues, ils proposent thérapies, injections de plasma pour régénérer les tissus endommagés et reconstruction clitoridienne. "L'opération, c'est le dernier recours", insiste la Dre Awwad: l'injection de plasma couplée à un suivi psychologique "permet de réduire de 50% le recours à la chirurgie" et d'éviter un nouveau geste traumatisant.

C'est pourtant cette option qu'envisage Intissar, qui parle également sous pseudonyme. "Quelque chose a été brisé chez moi et je veux le réparer", raconte cette quadragénaire. À 10 ans, "ma grand-mère m'a emmenée chez un médecin qui m'a excisée" et elle répétait: "C'est pour ton bien, tu es mieux comme ça". Ses parents, pourtant médecin et directrice d'école, avaient donné leur accord pour l'opération pendant l'été qui correspond au pic des excisions de fillettes, selon la militante Lobna Darwish. 

Vieille tradition aujourd'hui médicalisée

Pour lutter contre cette pratique,"il faut mener des campagnes de prévention dans les écoles avant les vacances d'été", plaide Mme Darwish, en charge du genre à l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). 

Dans le plus peuplé des pays arabes, l'excision consiste à l'ablation du clitoris et des petites lèvres. Elle cause, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), douleurs, hémorragies, infections, relations sexuelles douloureuses et complications durant l'accouchement. Bien qu'illégale depuis 2008 et régulièrement dénoncée par les autorités musulmanes et chrétiennes, cette pratique millénaire reste répandue dans le pays patriarcal et conservateur, où de nombreuses cliniques la proposent. Après des années de campagne contre les exciseuses traditionnelles, les trois quarts des Egyptiennes excisées l'ont été par un médecin, selon les chiffres officiels. 

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"Ils n'entendent parler de chirurgie reconstructrice ni durant leurs études ni durant leur internat"

Régulièrement, la loi durcit les peines contre les médecins pratiquant l'excision ou les parents. Mais, pour Mme Darwish, cette "criminalisation" est contre-productive car personne ne veut dénoncer sa propre famille. "Il faut surtout des cours d'éducation sexuelle" et "faire connaître le numéro vert" créé en 2017 par l'Etat, affirme-t-elle. 

Pour la Dre Awwad, les médecins manquent aussi d'information: "ils n'entendent parler de chirurgie reconstructrice ni durant leurs études ni durant leur internat", accuse-t-elle. Les femmes, elles, connaissent mal leur anatomie. À chaque première consultation, la Dre Awwad remet à ses patientes un miroir pour qu'elles découvrent leurs organes génitaux. Intissar est passée par là. "J'ai appris qu'on m'avait retiré les deux lèvres et une partie du clitoris. Je pensais qu'on m'avait seulement retiré un petit bout de peau. J'étais très en colère", raconte-t-elle. Nourhane a aussi connu la colère. 

D'abord contre sa mutilation mais aussi contre le peu d'aide pour la chirurgie reconstructrice. Il lui a fallu près d'un an pour obtenir une donation couvrant l'opération: 1.200 euros, soit dix fois le salaire moyen en Egypte. "Les médicaments aussi coûtent cher, il faut que les responsables règlent cette question", lance-t-elle, et "proposent la chirurgie réparatrice dans les hôpitaux publics". Mais Nourhane a déjà enregistré une victoire: elle est parvenue, avec sa mère, à empêcher l'excision de ses deux nièces.

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