Coronavirus en Afrique : ce que disent les avocats de l'artemisia
Andry Rajoelina, le président malgache défend le Covid-Organics, son cocktail à base d’artemisia contre le coronavirus. Malgré la polémique, la française Lucile Cornet-Vernet, fondatrice de La Maison de l'Artemisia, espère que cette prise de position aura le mérite de “déclencher” des recherches.
Le président malgache n’en démord pas. Pour Andry Rajoelina, la méfiance sur sa “potion” contre le coronavirus, appelée Covid-Organics ou CVO, reflète une attitude méprisante envers la médecine africaine. Madagascar a fourni à sa population et à plusieurs pays africains un breuvage à base d'artemisia, une plante à l'effet thérapeutique reconnu contre le paludisme, en affirmant qu'il prévenait et soignait le Covid-19.
Interrogé sur l'absence d'essais cliniques confirmant les vertus de sa tisane, il a rappelé qu'elle avait "le statut de remède traditionnel amélioré" et ne nécessitait donc, avant d'être distribuée, qu'une "observation clinique selon les indications du guide élaboré par l'OMS". Les éventuels bienfaits de cette tisane n'ont été validés par aucune étude scientifique.
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mis en garde les dirigeants africains contre la tentation de promouvoir et d'utiliser la potion malgache sans tests scientifiques. Une des principales “avocates” de l'Artemisia, la française Lucile Cornet-Vernet, a accepté pour AlloDocteurs.Africa de revenir sur cette polémique. Elle plaide depuis une dizaine d’années pour l'utilisation de cette plante en Afrique. Si elle est convaincue des vertus de l'artemisia, elle espère que ce débat enflammé permettra d'accélérer les recherches sur cette plante.
AlloDocteurs.Africa : Comme le président malgache, vous défendez une utilisation de la tisane d'artemisia dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Quel est votre principal argument?
Lucile Cornet-Vernet, fondatrice de La Maison de l'Artemisia : La tisane d'artemisia annua est non toxique. Elle est utilisée depuis des millénaires en Chine et notamment dans le cadre de la lutte contre le Sars en 2003 puis contre le Covid, à Wuhan ces derniers mois. Elle a des propriétés antivirales et des capacités de renforcement du système immunitaire. C’est donc une plante qui est intéressante, qu’il faut continuer à étudier et à donner à des populations qui n’ont pas d'autre moyen pour se préserver de cette pandémie. Je ne dis pas que c’est un “remède”, je dis que cela vaut la peine de l’étudier notamment pour des populations que l’on ne peut pas confiner.
A.D.A : On a beaucoup parlé de vos échanges avec le gouvernement malgache… Quel a été votre rôle dans l'utilisation de l'artemisia en Afrique dans le cadre de cette pandémie?
L. C-V. : Nous avons envoyé un courrier et échangé avec tous les gouvernements et équipes de recherches intéressées en Afrique ! Le gouvernement de RDC en a aussi parlé mais nous travaillons avec d’autres pays qui ne communiquent pas encore dessus. Le gouvernement malgache a été le premier à s’en emparer et à se jeter à l’eau. Nous leur avons simplement indiqué qu’il y avait sans doute un intérêt à faire des études sur l'artemisia qui pousse dans de nombreux pays, dont Madagascar. Et qui n'est pas chère ! Le reste relève de choix politiques.
A.D.A : Justement, les déclarations peu prudentes de certains hommes politiques, souvent critiquées par les scientifiques, ne sont-elles pas contre-productives pour la médecine traditionnelle?
L. C-V. : Je ne crois pas. Ce n’est d’ailleurs pas une catastrophe car cela met enfin sur le devant de la scène l'artemisia sur laquelle on peine à avoir des financements de recherches… Que quelqu’un se lance, comme il peut et avec sa manière de faire, cela permet à tout le monde de s’y intéresser ! Après cette première phase “politique”, on rentre dans la phase de la recherche scientifique. Enfin ! Il faut accélérer.
A.D.A : Mais comme avec Donald Trump et certains gouvernement africains qui vantent les mérites de la chloroquine, n’y a-t-il pas, à Madagascar par exemple, un risque d'emballement sur l'artemisia?
L. C-V. : Je ne suis pas Malgache ! Peut-être font-ils ce qu’il faut faire... Comme française, je n'ai pas à en juger.
A.D.A : Travaillez-vous depuis longtemps avec les équipes malgaches?
L. C-V. : Nous sommes en relation avec l'Institut Malgache de Recherches Appliquées (IMRA) depuis 8 ans ! Ils connaissent très bien l'artemisia. Ce sont les premiers à qui nous avons donné régulièrement nos propres semences.
A.D.A : Certains scientifiques à Madagascar vous critiquent aussi...
L. C-V. : C’est vrai ! Car nous sommes à la frontière entre la médecine traditionnelle et la médecine occidentale. On peut se demander s’il est nécessaire de demander des études cliniques, comme si c’était un médicament, pour une plante que l’on connait depuis 2000 ans ! Les Chinois l’utilisent depuis bien longtemps et connaissent très bien cette plante qui n'est pas toxique. C’est ce qu’on appelle un “médicament traditionnel à base de plantes”. Et l’artémisinine, qui “sort” de l'artemisia a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses études.
A.D.A : Et pourquoi n’y a t-il pas de “vraies” études cliniques?
L. C-V. : Nous faisons pression pour en avoir plus, par tous les moyens ! Et les choses bougent en Afrique mais aussi en Allemagne, dans le prestigieux institut Max Planck, au Danemark... Cela nous permettra de progresser, de mieux comprendre cette plante, d’adapter la posologie. Surtout depuis que l'artemisia intéresse bien au delà du paludisme. Je n’aurais jamais imaginé un tel destin pour l'artemisia !
*La Maison de l’Artemisia est une association française de lutte contre le paludisme par les Artemisia annua et afra
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