Coronavirus en Afrique : "Restez chez vous autant que possible"

Alors que la pandémie de Covid-19 s'est propagée dans 46 des 54 pays du continent, le professeur Yap Boum II nous en dit plus sur les capacités du continent à faire face à cette crise sanitaire.

Badr Kidiss
Badr Kidiss
Rédigé le , mis à jour le
Pour se protéger et protéger les autres, le lavage régulier des mains est très important (Illustration)
Pour se protéger et protéger les autres, le lavage régulier des mains est très important (Illustration)

La pandémie s'accélère en Afrique. A ce stade, on recense au moins 2800 malades sur le sol africain, dont 75 décès et 162 guérisons, selon les derniers chiffres des différents ministères de la santé du continent. Pour en savoir plus sur les efforts du continent pour affronter cette nouvelle maladie infectieuse, AlloDocteurs.Africa a interrogé Yap Boum II, professeur en microbiologie et représentant régional d’Epicentre, la branche "recherche et épidémiologie" de Médecins sans frontières (MSF). 

AlloDocteurs.Africa : Face à la pandémie de coronavirus, quels sont les conseils pratiques que vous donnez aux gens qui nous lisent ? 

Yap Boum II : Aujourd'hui, le premier conseil qu'on peut donner c'est l'hygiène : lavez-vous les mains ! Deuxièmement, évitez d'entrer en contact avec les autres personnes quelles qu'elles soient. Et troisièmement, restez chez vous autant que possible. C'est le message qu'on donne, par exemple, en France où l'épidémie fait déjà rage, et c'est le même message qu'on donne aujourd'hui dans la plupart des pays africains. Ceux qui le peuvent doivent rester chez eux !

ADA : Même si on recense plus de 2500 cas sur tout le continent, l’Afrique est à ce stade le continent le moins touché par le Covid-19. Y-a-t-il une explication scientifique à cela ? 

YBII : Maintenant qu'on a des cas, il y a des études qui sont en train d'être mises en place pour savoir qui sont ces patients. Il y a aussi d'autres études qui vont être effectuées pour essayer de voir autour de ces patients, c'est-à-dire les personnes qui étaient en contact avec les cas confirmés, pour savoir lesquels seront contaminés et si l'on a davantage de personnes "asymptomatiques", (c'est-à-dire qui ne ressentent pas d'effet du virus) en Afrique qu'ailleurs.

En plus de ça, d'autres études seront mises en place pour pouvoir prélever du sang et faire ce qu'on appelle une étude génomique afin de savoir s'il y a un gène particulier qui donne une certaine immunité aux africains. Mais scientifiquement, pour le moment, on n'a pas la réponse...

ADA : Est-ce que le faible nombre de tests de dépistage réalisés sur le continent peut aussi justifier ces chiffres ? 

YBII : Je ne pense pas. Parce que si l'on prend le cas du Cameroun, où je suis présent à l'heure actuelle, le nombre de tests est plutôt suffisant. On en reçoit par séquence, c'est vrai, mais il y en a assez pour pouvoir détecter le Covid-19. On n'est pas encore monté en puissance comme la Corée qui propose des tests volontaires mais, au jour d'aujourd'hui, les personnes qui ont des symptômes sont toutes testées. De même pour les personnes qui ont été en contact avec un cas ou qui ont voyagé dans un pays touché par la pandémie. Je ne pense pas du coup que l'absence de tests massifs soit le facteur qui peut expliquer la faible transmission en Afrique. 

 

ADA : Y-a-t-il comme le dit la rumeur, une chance que le Coronavirus fasse moins de victimes en Afrique grâce à ses températures élevées ? 

YBII : Avec un peu plus de 2500 cas en Afrique, est-ce qu'on peut encore dire que le continent est encore épargné? Avant de parler de température, il faut savoir que la Chine a fermé très rapidement ses frontières et ceux qui ont pu quitter le pays sont allés en Europe. Ce n'est que par la suite que ceux qui étaient en Europe se sont déplacés en Afrique. Donc rien qu'à partir de là, il y a un délai entre la Chine et l'Afrique qui est le passage en Europe. Et si l'on s'intéresse aux cas importés en Afrique, on remarque qu'il n'y a pas de Chinois, il y a que des Européens. C'est plutôt cette logistique qui fait que l'Afrique a été préservée. Maintenant s'il y a d'autres facteurs, l'avenir et la recherche nous le diront !

ADA : Justement début mars, on parlait uniquement de "cas importés" sur le continent. Depuis, plusieurs pays africains ont recensé des cas de transmission locale. Le virus circule-t-il dans toute l’Afrique ?

Il est difficile de dire qu'il circule dans toute l'Afrique. Chaque pays a sa propre situation épidémiologique. Mais aujourd'hui, la majeur partie des pays touchés sur le continent ont des cas importés et de plus en plus de cas de transmission locale. 

YBII : Actuellement, à quoi se résume le rôle de votre centre de recherchre Epicentre, face à la pandémie ? 

Epicentre travaille dans différents pays (Niger, Ouganda, Cameroun, Côte d'Ivoire, Burkina Faso...). Epicentre se positionne dans l'accompagnement de Médecins sans frontières (MSF) pour, premièrement, pouvoir investiguer et comprendre les maladies et leur type de transmission. Le plus important encore pour nous, c'est l'essai clinique pour savoir si l'outil proposé marche, ou si ça ne marche pas. Epicentre se positionne aux côtés de partenaires, comme Médecins sans frontières (MSF) ou le ministère de la Santé, pour pouvoir évaluer la molécule proposé pour soigner les malades du Covid-19. Ce qui sera notamment le cas au Cameroun et au Niger.  

ADA : À vos yeux, le système de santé camerounais est-ils prêt à faire face à cette pandémie  ? Selon vous, quels sont les pays les mieux et les moins bien préparés ?

YBII : Il y a une double question : est-ce que le système de santé camerounais est capable de détecter et suivre l'évolution de la pandémie ou est-ce que le Cameroun est outillé pour prendre en charge les patients porteurs du coronavirus. Je fais la différence entre les deux car dans un cas, on va parler de la capacité en termes de diagnostic, de suivi des cas contacts. Donc là c'est de l'épidémiologie de terrain et des pays comme le Nigéria sont relativement avancés. De son côté, le Cameroun est en train de monter en puissance pour faire face à la pandémie, en s'appuyant sur son réseau d'épidémiologistes de terrain. D'autant plus que la pandémie est en train d'évoluer. Au début, on a commencé par Yaoundé. Maintenant, on avance dans les régions (la région du Littoral, la région de l'Ouest). On décentralise la réponse. Après, la difficulté pour le Cameroun et pour tous les pays africains sera la prise en charge notamment des cas sévères. On peut être résiliant et trouver des moyens et des stratégies pour mettre en place la quarantaine. On est tous conscients que le confinement total est LA solution mais on ne pourra pas le faire comme  en Europe. 

ADA : D'ailleurs, de plus en plus de pays africains se barricadent. Vous pensez que c'est la bonne stratégie ? 

YBII : Oui, ça peut marcher ! En tout cas, ça a marché en Chine. A partir du moment où l'épidémie est arrivée dans plusieurs pays dans le monde, on se dit qu'il faut le faire. Maintenant, ce n'est pas parce que ça a marché en Chine, qui est un pays très organisé et bien discipliné tout en étant autoritaire, que ça peut marcher chez nous. Et surtout, la Chine a nourri les populations qui étaient en quarantaine. Je ne suis pas sûr que les gouvernements africains aient les moyens de faire la même chose. Par contre, on peut compter sur la solidarité africaine. Il va falloir que les riches puissent aider les pauvres ! Au Cameroun, on assiste à des élans de solidarité. Il y a par exemple une association qui s'appelle "Women in Global Health" qui est en train de mobiliser des fonds pour acheter des denrées non périssables afin de les donner aux familles qui doivent être en quarantaine mais qui n'ont  pas les moyens. L'association compte aussi sur l'appui de la diaspora, et j'espère qu'un média comme le votre pourra relayer ce type d'activités. 

On parle de plus en plus de la chloroquine comme traitement contre le Covid-19, qu’en pensez-vous ? 

YBII : Je pense que le Pr Raoult a fait une étude qui donne des résultats prometteurs. Maintenant, c'est une étude qui a été faite avec un nombre limité de patients. Je pense qu'aujourd'hui face à cette promesse, il est indispensable d'encadrer l'usage de la chloroquine. On a vu déjà dans certains pays des cas d'intoxication, on a vu aussi des effets secondaires chez les patients qui avaient d'autres facteurs de comorbidité. Il faut donc encadrer la chloroquine et cela passe par des essais cliniques. Comme ça, on saura exactement comment ça marche, quelle dose, pendant combien de temps et quels sont les personnes qui y ont droit (cas sévères, cas modérés). Il faut être très prudent par rapport à ça.  

ADA : Alors que plusieurs pays occidentaux font la course au vaccin, qu’en est-il de la recherche médicale en Afrique ? 

YBII : La recherche médicale se met en place en Afrique. Au Cameroun, le ministère de la Santé a lancé un appel de projets de recherches dont la date de dépôt des dossiers était fixée au 24 mars à minuit. Le dépouillement est en cours et l'idée est de donner l'opportunité à des chercheurs, et pas seulement dans la recherche médicale. J'espère que tout cela sera développé, pas seulement au pays mais au niveau régional et continental, notamment avec des partenariats avec l'Institut Pasteur. 

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