Burkina Faso : "La Covid-19 est l'arbre qui cache la forêt"

Charlemagne Ouédraogo préside depuis 2018 l’Ordre national des médecins du Burkina Faso. Il revient pour AlloDocteurs Africa sur le combat des soignants contre l'épidémie et appelle surtout à ne pas oublier les autres pathologies.

Badr Kidiss avec AFP
Badr Kidiss avec AFP
Rédigé le , mis à jour le
Le professeur Charlemagne Ouédraogo a bien voulu répondre à toutes nos questions (photo d'illustration)
Le professeur Charlemagne Ouédraogo a bien voulu répondre à toutes nos questions (photo d'illustration)

Dans la lutte du Burkina Faso contre le nouveau coronavirus (Covid-19), c'est un témoin de choix. Charlemagne Ouédraogo est professeur de gynécologie obstétrique et préside, depuis 2018, l’Ordre national des médecins du Burkina Faso. Il revient pour AlloDocteurs Africa sur le combat des soignants contre l'épidémie et appelle surtout à ne pas oublier les autres pathologies : VIH, diabète... Et à ne pas s'emballer sur la prescription de la fameuse chloroquine, un "remède", très décrié.

AlloDocteurs.Africa : Où en est l'épidémie de Covid-19 au Burkina Faso ?

Charlemagne Ouédraogo : Dans le pays, la Covid-19 est en recul, en témoignent les statistiques que nous avons au quotidien et les cas que nous recevons dans les différents hôpitaux. Je pense que nous sommes sur la bonne voie pour anéantir la maladie, malgré les difficultés vécues. 

A.D.A : La population a-t-elle joué le jeu des gestes barrières ?

C.O. : C'est le travail du gouvernement  ! Vous savez que dans tous les pays au monde, vous ne pouvez pas trouver une population qui respecte à 100% les recommandations des autorités, notamment par rapport aux mesures barrières. Mais tout porte à croire que beaucoup de gens les respectent dans les lieux publics, tout comme on observe un respect de la distanciation sociale. On ne voit plus de grosses réunions, des mariages...

A.D.A : Les burkinabés se sont adaptés?

C.O. : Oui, les gens ont appris à faire leurs réunions en utilisant les nouvelles technologies de communication et évitent les conférences publiques et les grandes rencontres culturelles. Autant d'habitudes qui ont été abandonnées, au profit de la lutte contre la maladie. On a même vu des mariages sur Zoom !  Nous avons également eu un gros bénéfice grâce à la quarantaine imposée à Ouagadougou, qui est la ville la plus atteinte par le coronavirus afin de limiter la propagation de la maladie dans les autres régions à l'intérieur du pays. Nous avons aussi utilisé le couvre-feu qui évite aux gens d'être rassemblés toute la nuit et réduit la contamination intercommunautaire de la maladie.  

A.D.A : Les médecins craignent-ils que le Covid fasse oublier les autres maladies ?

C.O. : Le Burkina a décidé de centraliser les malades atteints par le coronavirus dans un hôpital dédié à cela, alors que les autres hôpitaux font des dépistages. Dans un premier temps, il faut dire qu'il y avait la panique au sein des agents de santé qui ne comprenaient pas vraiment cette maladie. Chacun avait peur mais, très rapidement, nous avons travaillé à calmer cette situation de sorte à ne pas entretenir une psychose au sein des équipes soignantes, ce qui aurait pu déstabiliser la prise en charge des autres maladies.

A.D.A : Des maladies qui ont souvent plus d'impact sur les populations...

C.O. : Oui, n'oubliez pas que sur le plan de la santé publique, si on fait le point sur les maladies les plus meurtrières au Burkina, la Covid-19 ne sera même pas classée 10ème !  Par contre, si on fait un classement des maladies les plus "psychotiques", angoissantes; la Covid-19 pourrait finir à la première place. Le Burkina n'était pas en reste de cette panique qui s'est emparée du monde. En tant qu'Ordre des médecins, nous essayons au maximum de dire aux agents de santé "attention, mieux vaut s'exposer à la Covid-19 que de s'exposer au VIH ou à l'hépatite B". Parce que la Covid-19 va guérir spontanément, sans symptômes, dans 85% des cas, alors que le VIH ne va pas guérir spontanément ! Et pourtant, nous côtoyons le risque de VIH dans nos hôpitaux depuis des années. Alors, l'arbre ne doit pas cacher la forêt !

A.D.A : Pourquoi préconisez-vous la prudence face à la chloroquine ? 

C.O. :  Nous déconseillons aux professionnels de santé la prescription systématique de la chloroquine pour la prévention de la Covid-19, parce que ce sont des molécules qui sont utilisées pour l'expérimentation et qui doivent être utilisées par des équipes dédiées à cela. Nous le répétons : la prescription systématique de la chloroquine n'est pas recommandée ! En parallèle, la chloroquine ne fait plus partie depuis un moment de la liste des médicaments essentiels et génériques au Burkina Faso. Il est impossible d'en trouver dans les pharmacies du pays. Pour éviter de faire la promotion des médicaments de la rue qui vont créer d'autres problèmes, nous incitons donc  les praticiens à ne pas se lancer dans la prescription de la chloroquine ! Car s'ils le font, le patient va chercher coûte que coûte à acquérir la chloroquine. Et pourrait se mettre en danger.

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