Cameroun : face à l'excision, “il y a beaucoup à faire“

Alors que l'excision est encore pratiquée au Cameroun, une association multiplie ses efforts pour mettre fin à cette mutilation génitale féminine.

Arnaud Ntchapda
Arnaud Ntchapda
Rédigé le , mis à jour le
De nombreuses petites filles sont encore excisées au Cameroun (photo d'illustration)
De nombreuses petites filles sont encore excisées au Cameroun (photo d'illustration)

Elle a la peau dure. Malgré l'existence de lois qui condamnent les auteurs de mutilations génitales féminines, l'excision est très répandue dans les régions de l’Extrême-Nord et du Sud-Ouest, ainsi que dans les villes de Douala et Yaoundé. Cette mutilation génitale féminine, qui recouvre toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes sexuels externes de la femme ou autre lésion des organes sexuels féminins, est rarement abordée dans les familles camerounaises. 

Si les autorités multiplient les efforts pour lutte contre cette violation des droits de la femme, des associations locales sont aussi engagées dans la lutte. C'est notamment le cas de l’association Promotion et Assistance de la Femme Africaine (PAFA) qui a récemment organisé une table ronde sur le thème des mutilations génitales à Douala. Pour en savoir plus sur le travail de l'association présidée par le juriste Alexis Medi, on est parti à la rencontre de l'homme qui défend les femmes. Entretien. 

AlloDocteurs Africa : Quelle est la situation des femmes qui souffrent de mutilations génitales au Cameroun ?

Alexis Médi : Les chiffres sont graves. 1,4% des Camerounaises, soit environ 190.000 femmes, sont perdues dans leur sexualité, l'ont perdue ou sont brimées. C’est juste l’épicentre d’un phénomène endogène terrible. Nous retrouvons ce phénomène beaucoup plus dans la partie septentrionale. Il est désormais apparu dans la partie sud du Cameroun et aussi dans la région de l’Est avec les migrations des réfugiés et les guerres internes et externes qui font qu’il y a une population qui avance. Moins les droits de la femme sont respectés, plus ils sont impactés. Car les métropoles comme Douala et Yaoundé ramènent ce qu’on appelle la “retribalisation“. C’est-à-dire transposer sa tribu, ses bonnes manières et ses mauvaises moeurs dans les villes.

A.D.A : Que pensez-vous  de l'excision ?

A.M : Après le féminicide, c’est la plus brutale des violences basées sur le genre. Cela ne s’explique pas, cela ne se justifie pas. La preuve, on parle de Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. Maintenant, ce que nous faisons c’est sensibiliser, renforcer les actions qui sont déjà posées sur le papier par le ministère de la promotion de la femme et de la famille. Mais il y a une effectivité sur le terrain qui est un peu résistante. Il y a, comme l’a souligné le maire de la ville de Douala le 5 Février, des résistances. Il faut donc aller sensibiliser, dénoncer, avoir des “corbeaux“, comme on dit dans le jargon de l’espionnage dans ces zones et sanctionner ceux qui persistent, sensibiliser ceux qui ne savaient pas, même si nous croyons que tout le monde sait déjà. La campagne de sensibilisation que nous menons actuellement concerne les violences basées sur le genre en général mais, les mutilations génitales ne sont pas exclues puisque nous faisons un regroupement de toutes les violences faites aux femmes. Nous avons déjà proposé à la mairie de Douala un plan d’action qui va être un pilote avec d’autres communautés urbaines et d’autres collectivités territoriales décentralisées. Nous faisons de la  sensibilisation et lorsqu’il y a des cas de résurgence,  nous sollicitons la sanction pénale.  

A.D.A : Comment votre association sensibilise-t-elle autour de l'excision ?

 A.M : Nous avons un gros problème dans notre déploiement. Nous avons des membres bénévoles qui sont très occupés, des membres volontaires aussi. Je suis le plus grand volontaire puisque j’en fais une activité principale. Nous nous déployons, nous attendons des subventions. Nous organisons des campagnes de sensibilisation de masse, mais sur plusieurs sujets car nous devons être efficaces. Nos cotisations minimes ne nous permettent pas  de nous déployer à notre guise. Lorsqu’un partenaire peut nous accompagner, nous devons faire une campagne qui regroupe plusieurs types de violences. Cela peut sembler inefficace, mais nous n’avons pas beaucoup le choix. Je négocie avec même des institutions internationales. J’ai déjà commencé une campagne de  sensibilisation  dans les établissements scolaires sur les violences basées sur le genre, l’égalité des genres. C’est la sensibilisation qui est notre fer de lance. Lorsque nous aurons pignon sur rue, tout en gardant la confiance des  mécènes, du sponsoring  et des subventions, nous pourrons avoir même des accompagnements réels dans la répression sur le terrain. Parfois, nous sommes interpellés, mais avec de la corruption ici, un avocat que nous ne pouvons pas payer là-bas, il y a souvent des bourreaux quo passent entre les mailles du filet.

A.D.A : Etes-vous satisfait de la façon dont le combat est mené ?

A.M : Non. Je ne suis peut-être satisfait que de la promesse que j’ai reçue aujourd’hui. Je sui quelqu’un de très optimiste. Il y a 5 ans, nous avons débuté l’aventure à trois. Deux compagnons m’ont lâché. J’ai 31 membres dont certains qui sont là par conviction et d’autres par simple curiosité ou par blessure profonde qu’ils n’arrivent pas à exprimer, comme nous tous qui avons été victimes de violences à un moment ou à un autre. Il y a encore beaucoup à faire.

Les violences basées sur le genre sont un fléau en Afrique et au Cameroun singulièrement. On doit les traiter avec la plus grande fermeté. Cette année, je promets qu’avant  le 31 Décembre, j’aurais établi un projet de société qui se dévoilera au fur et à mesure de l’accompagnement dont nous allons bénéficier et qui va même toucher la sous-région. Nous allons créer une synergie d’intelligences et d’actions communes pour, j’aime cette expression, “terroriser les terroristes“.

AlloDocteurs Africa : Pourquoi avez-vous sollicité la mairie de Douala dans votre action contre l’excision ? Quel peut être son apport ?

Alexis Medi : Je l’ai invitée parce que j’ai toujours pour ce qui me concerne, été invité et soutenu par les instances internationales, diplomatiques. J’ai commencé avec la mairie de Douala un travail l’année passée. Nous avons signé un partenariat qui s’avère être porteur aujourd’hui. Nous leur avons expliqué la performance du genre. 51% de la population a besoin d’être protégée par les élus. Cela a coïncidé parce que le maire de la ville et son exécutif porte à cœur les questions de genre. Ils ont d’ailleurs réitéré leur promesse de revenir vers nous afin que nous leur présentions un projet qu’ils vont soutenir avec des ressources, de la logistique pour que nous soyons plus efficaces dans la sensibilisation et en réparation, au plan psychologique et clinique.

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