Coronavirus : du Maroc à l'Afrique du Sud, le continent se jette sur la chloroquine

Alors que le continent africain compte près de 6000 malades de Covid-19, la plupart des Etats se ruent sur la chloroquine, un médicament bien connu chez nous.

Badr Kidiss avec AFP
Badr Kidiss avec AFP
Rédigé le , mis à jour le
L'hydroxychloroquine séduit plusieurs Etats africains (Illustration)
L'hydroxychloroquine séduit plusieurs Etats africains (Illustration)

Tout le monde en veut ! Du Maroc à l'Afrique du Sud en passant par le Sénégal, le Gabon ou encore le Burkina Faso, l'Afrique se rue sur la chloroquine, un médicament bien connu de ses habitants. Ce traitement et ses dérivés comme l'hydroxychloroquine, utilisés durant des années pour soigner le paludisme sur le continent, suscitent dans le monde l'espoir de beaucoup. Mais leur efficacité est encore loin d'être prouvée et leur généralisation divise la communauté scientifique.

Si l'OMS a appelé à plusieurs reprises à la prudence, sur le continent africain qui ne dispose que de peu de moyens pour lutter contre le SRAS-CoV-2 (le virus responsable du Covid-19), les autorités n'ont pas hésité longtemps. Au Maroc, au Burkina Faso, au Cameroun ou en Afrique du Sud, les gouvernements ont rapidement autorisé les structures hospitalières à traiter les malades avec cette molécule. 

Et une grande étude, à l'image de celle du désormais célèbre professeur français Didier Raoult, a été lancée en Afrique du sud, alors que la moitié des personnes contaminées au Sénégal sont soignés à l'hydroxychloroquine, selon le professeur Moussa Seydi de l'hôpital de Fann à Dakar. De son côté, la République démocratique du Congo (RDC) veut carrément produire la chloroquine "en quantité industrielle", à l'heure où l'Algérie soigne ses cas graves de coronavirus avec cette molécule. 

La peur de manquer 

"Si on venait à prouver que la chloroquine était efficace, l'Afrique, qui importe la majorité de ses médicaments, ne serait peut-être pas la priorité des industries", souligne Yap Boum II, le représentant Afrique d'Epicentre, la branche recherche de l'ONG Médecins sans frontière (MSF) qui explique à AlloDocteurs.Africa que "tout le monde veut la chloroquine mais personne ne sait l'utiliser".

Alors que le Maroc a réquisitionné tous les stocks de chloroquine, les pharmacies sont en rupture de stock dans plusieurs grandes villes africaines, comme à Abidjan (Côte d'Ivoire) ou encore à Yaoundé (Cameroun).

A Libreville (Gabon), les files d'attente devant les officines s'allongent aussi, au grand dam d'Armelle Oyabi, présidente d'une association de personnes atteintes du lupus, une maladie auto-immune qui se traite avec l'hydroxychloroquine. Depuis samedi, elle fait le pied de grue derrière le comptoir de la seule pharmacie qui dispose encore d'un stock. "Je vérifie que le médicament est bien délivré à ceux qui en ont besoin", explique-t-elle. "Sans ce traitement, nous sommes non seulement fragilisés par le lupus, mais encore plus vulnérables face au coronavirus".

Automédication dangereuse

Les experts s'inquiètent de cette frénésie populaire et redoutent une automédication. "Pour les personnes cardiaques cela peut être fatal", prévient le professeur Boum. Quant aux "surdosages, ils peuvent entraîner la mort", renchérit  Alice Desclaux, médecin-anthropologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) au Sénégal. 

Au Nigeria, des patients empoisonnés à la chloroquine ont été admis la semaine dernière dans deux hôpitaux de Lagos. Pour s'en procurer illégalement, les Africains peuvent toutefois se tourner vers les apothicaires de rue. "La chloroquine a toujours été présente dans le circuit informel en Afrique", explique le Dr. Desclaux qui ajoute: "Elle est encore utilisée pour provoquer des avortements" ou pour tenter de "suicider". 

Vraie ou fausse chloroquine ?

Dans une pharmacie clandestine d'un quartier de Douala (Cameroun) Lucien, le gérant, avoue avoir déjà vendu son stock: "Les clients en réclament, mais elle n'est pas disponible immédiatement, il faudra passer commande". "Attention les prix ont augmenté", avertit le commerçant: le comprimé est désormais vendu 65 centimes d'euros, quatre fois plus cher qu'il y a quelques semaines. Un peu plus loin, une institutrice sexagénaire concède en avoir acheter la semaine dernière: "j'en garde au cas où", dit-elle. 

Vraie ou fausse chloroquine ? Impossible de savoir, mais son attrait "va alimenter le marché noir et les faux médicaments", assure le professeur Boum. Mardi, déjà, les autorités camerounaises ont annoncé que de la fausse chloroquine étaient en circulation dans le pays, et avaient notamment été retrouvés... dans certains centres de santé

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