Face à la lèpre, "il faut diagnostiquer et briser les chaînes de contamination"

En 2021, la lèpre sévit encore en Afrique. Pour le Professeur Francis Chaise, directeur du programme lèpre à l'Ordre de Malte France, le principal défi dans la lutte contre cette maladie tropicale négligée est le diagnostic précoce.

Alicia Mihami
Rédigé le , mis à jour le
Non traitée, la lèpre déforme, mutile et invalide les personnes atteintes
Non traitée, la lèpre déforme, mutile et invalide les personnes atteintes

Alors que la lèpre continue de se propager en Afrique, la rédaction a voulu en savoir plus sur les défis de la lutte contre cette maladie tropicale négligée. A l'occasion de la journée mondiale des lépreux, ces 29, 30 et 31 janvier, on a échangé avec le Professeur Francis Chaise, chirurgien orthopédiste et directeur du programme lèpre de l'Ordre de Malte France, la plus vieille association humanitaire encore en activité. Il travaille depuis de nombreuses années sur le terrain auprès des personnes atteintes par cette maladie, en Afrique et en Asie. Entretien avec un spécialiste. 

AlloDocteurs.Africa : On pense souvent que la lèpre est une maladie ancestrale et qui a disparu depuis des années. Est-ce vrai ?

Pr. Francis Chaise : La lèpre est devenue relativement rare en milieu citadin, car les malades ont accès aux systèmes de santé et se soignent plus simplement aujourd'hui. Mais en Afrique, certaines zones restent très touchées car elles sont difficiles d'accès : les zones désertiques, ou forestières, particulièrement pendant la saison des pluie. Dans ces conditions, le diagnostic est difficile et donc tardif. Ce qui permet à la lèpre de se propager chez le malade mais aussi de contaminer ceux qui l'entourent, car elle a une progression lente : les symptômes apparaissent parfois au bout de 15, 20 ans et pendant tout ce temps, le malade était contagieux et l'ignorait. On sait que 75% nouveaux cas de lèpre apparaissent dans un périmètre de 2 à 3km d’un autre déjà atteint. Cela montre l'importance de briser les chaînes de contamination. 

A.D.A : Quels sont les principaux défis à l'éradication de la lèpre ? 

Pr. F.C : C'est le diagnostic tardif. On connait la bactérie et ses symptômes, des traitements efficaces existent et vont éviter l’immense majorité des complications (paralysies, mutilations), mais encore faut-il avoir diagnostiqué la lèpre ! Le point de départ c’est la détection. Sur le terrain, ça passe par la détection passive avec la mise en place de dispensaires où les malades peuvent se rendre d'eux-mêmes, mais ce n'est pas le meilleur moyen de toucher un grand nombre de personnes. Pour ça, il faut former du personnel soignant sur place, monter des équipes de détection, et organiser des missions avancées pour aller chercher les malades en dépistant systématiquement dans les villages de ces zones désertiques et difficiles d'accès. Mais ça demande de la logistique, des moyens et de la coopération de la part des pays. Ce n'est pas toujours simple à mettre en place... 

A.D.A : Il n'existe pas de vaccin contre la lèpre. Y a-t-il d'autres moyens de prévention ? 

Pr. F.C : Des recherches sont en cours pour mettre au point un vaccin. Mais le bacille de la lèpre a un développement très lent, qui ralentit aussi son étude par les chercheurs. On est en phase de test mais un vaccin est encore loin. L'arrivée d'autres épidémies comme le Covid-19 aujourd'hui, mais aussi le sida ou Ebola par le passé, ont ralenti les recherches autour de la lèpre. Aujourd'hui, on essaye tout de même de mettre en place des campagnes préventives grâce à des traitements prophylactiques. Grâce au contact tracing, c'est-à-dire en retrouvant toutes les personnes qui ont été en contact avec un malade on peut prévenir la propagation de la maladie. Il suffit de donner une dose de rifampicine, un antibiotique, à chaque cas contact. Grâce à ce protocole, on a obtenu d'excellents résultats en Asie notamment. Il faut insister sur ces programmes de prévention. L'Ordre de Malte commence à déployer ce type de campagne en Afrique : en RDC, à Madagascar, au Mozambique, au Sénégal mais aussi en Côte d’Ivoire. On a déjà obtenu l'accord des ministères de la Santé pour lancer ces programmes. On est au tout début... il faut suivre ça de près pour espérer avoir de vrais résultats. La lèpre se rit de nous depuis 3500 ans. On gratte du terrain, mais on est pas encore au bout.

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